Ben-Aknoun
Souvenirs de lycée 1938-1939

évoqués par Eugène Poli

 

mise sur site le 21-11-2006

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Durant une réunion d'anciens élèves du Lycée de Ben-Aknoun , je fus témoin d'une conversation entre internes des années cinquante qui évoquaient leurs conditions de vie dans ce bahut.

Soudain me revinrent en mémoire les débuts de ma vie de potache

En juin 1938, j'avais été reçu à l'examen d'entrée en sixième, passé à l'école des filles de la rue Lazerges , prés du glacier Grosoli bien connu des Algérois . Mes parents qui étaient sur le point de quitter Bab-El-Oued où j'avais effectué mes études primaires à l'école de la place Lelièvre, décidèrent de m'inscrire comme interne à Ben-Aknoun .Je revois encore ma mère, dans le mois précédent la rentrée préparant le trousseau que tout pensionnaire devait avoir et cousant mes initiales et le numéro qui m'avait été attribué. Pour moi, le plus important fut l'achat de l'uniforme obligatoire pour les sorties.

Pour une fois j'avais droit au pantalon long et à la casquette. Cet achat eu lieu rue de Baba zoun, chez un marchand spécialisé dans les uniformes : la maison Lalande je crois !

Le jour de la rentrée, je me présentai avec mes parents au Lycée. Il m'apparut comme un ensemble de bâtiments dans un grand parc.Une grande allée menait à l'entrée principale ou un concierge accueillait les nouveaux internes et leurs parents. La première chose fut l'enregistrement du trousseau à la lingerie située au deuxième étage d'un bâtiment .De là je pus apercevoir l'ensemble des constructions et les cours intérieures. Rien de comparable à l'environnement de ma vie antérieure !

Tout semblait méthodiquement organisé et notre étape suivante fut ma présentation au surveillant Général. (Je ne me souviens plus de son nom car pour nous c'était le Bouc sobriquet que nous lui avions donné). Son bureau se trouvait au centre des bâtiments juste à coté d'un autre bureau où plusieurs surveillants étaient penchés sur des dossiers,. Les formalités d'admission furent vite remplies, la séparation de mes parents fut un peu plus longue et j'eus un pincement au cœur quand un surveillant me conduisit rejoindre mes nouveaux condisciples dans une salle qui allait être le lieu de nos études. Dans la même journée, nos conditions de vie nous furent transmises ainsi que notre emploi du temps. Tout était parfaitement réglé et je ne peux m'empêcher d'une comparaison avec les rentrées d'aujourd'hui !!Est-ce l'évolution des mentalités de la Société ou le manque de conscience professionnelle des enseignants ? Les rentrées scolaires d'antan se faisaient dans un climat serein et les polémiques vite apaisées.

Le plus dur fut pour moi ma première nuit dans un dortoir immense avec une trentaine de lits disposés de chaque coté d'une allée principale. Evidemment tous nos déplacements se faisaient en rang sous la houlette de notre surveillant principal. Ce dernier partageait notre vie et possédait sa chambre dans notre dortoir. C'est lui qui était chargé d'appliquer et de faire respecter le règlement. Même au dortoir, tout était ordonné.

Nous ne possédions individuellement que la moitié d'une petite armoire métallique où le pyjama, les objets de toilette et le nécessaire à chaussures étaient seuls tolérés. Les lavabos collectifs et les toilettes se trouvaient au fond du dortoir dans une salle commune où après avoir revêtu notre pyjama,nous devions nous rendre en rang sous la conduite du surveillant

Tous nos mouvements étaient réglés par des sonneries et le claquement de mains de nos surveillants Le rituel du dortoir était le même au matin :lever et présentation au pied du lit avant de rejoindre la salle commune aux ablutions et où l'eau chaude n'était en service que les jours de grand froid. Auparavant nous devions découvrir nos lits et au retour des toilettes les faire au carré : ce qui m'a servi durant mon service militaire !!

Le petit déjeuner était pris au réfectoire après une demi-heure d'étude matinale. Comme le dortoir, le réfectoire était une grande salle avec une allée centrale où de chaque coté, étaient des tables fixées au sol avec un tablier de marbre pour huit convives .Des bancs fixes nous servaient de chaises. Des serveurs nous apportaient notre nourriture sur de grands chariots. Les premières années nous fumes bien nourris mais avec l'arrivée du rationnement après 1940, tout changea .Fenouils et céleris furent notre quotidien et je me souviens que nous allâmes en monôme dans les rues d'Alger pour protester contre l'économat du lycée responsable à nos yeux de cette disette .C'est à cette époque qu'apparurent les caisses à provision avec cadenas où chaque interne renfermait les colis de nourritures envoyés par les parents. Pour moi je n'eu pas à souffrir de cette période car j'avais la possibilité d'aller chez moi tous les week-ends et de sortir à Alger tous les jeudis après-midi.Le régime des sorties était très sévère. Chaque interne devait avoir un correspondant en ville pour être autorise à se rendre à Alger le jeudi après-midi, les autres restaient au bahut où un film était projeté .Les sortants se précipitaient dès la sortie du réfectoire vers les autobus qui assuraient le transport vers Chateauneuf où un tram (remplacé dans mes derniéres années de potache par un trolley) nous emmenait vers la Place du gouvernement. Pour être plus rapide lorsque je devais me rendre à Bab-El-Oued je descendais après la caserne d'Orléans, prenais la route qui longeait Barberousse, descendais une petite colline et me retrouvais rue Mizon. Parfois lorsque nous étions en groupe, nous traversions directement la Casbah pour tomber vers N.D des Victoires, prés du Lycée Bugeaud. Que de rigolades en passant dans ce quartier, les Anciens me comprendront !!! Nous étions jeunes et insouciants, ne pouvant imaginer alors le drame qui allait secouer notre pays, d'autant plus que les Musulmans étaient nombreux parmi nous et profitaient des mêmes avantages. Les sorties du week-end étaient pour moi, les plus importantes car elles me permettaient de rejoindre le cocon familial. Le samedi dès 13 heures, nous étions prêts à nous élancer vers la sortie. En passant devant la conciergerie, nous accélérions le pas car dehors c'était la Liberté !!

Durant les deux premières années, je me précipitais, rue de la Liberté à Alger d'où partaient les cars de Koléa qui desservaient Douaouda, résidence de mes parents .J'étais heureux lorsque je pouvais prendre le premier car en partance, mais bien souvent l'affluence de voyageurs le samedi m'obligeait à attendre le suivant. Ce n'était pas une grosse contrariété car les cinémas étaient nombreux dans les alentours. J'en citerai quelques uns : le Splendid, l'Alletti, l'Alhambra , le Midi Minuit, le Lux,le Paris Et un peu plus loin, rue Charras le Vox.

Le temps d'attente passait vite et j'étais heureux de m'installer dans l'autocar qui empruntait le boulevard Carnot, passait devant le square Briand, l'ancienne Mairie d'Alger, la place du gouvernement, la Chambre de commerce et qui par la rue Borély la Sapie, les boulevards Malakoff et Pitolet arrivait à l'arrière du stade de Saint-Eugène.Je ne peux résister au besoin de détailler ce parcours car j'espère ainsi que ces noms rappelleront aux anciens des souvenirs. A partir du Stade, le boulevard passait au dessus de petites criques ou beaucoup d'algérois possédaient des cabanons : le petit bassin, les deux chameaux, le TPLG, la Poudrière, des noms évocateurs !!.On arrivait aux Deux Moulins,et en suivant toujours cette route côtière on passait la Corniche , les Bains Franco , la Pointe Pescade, Bainem et sa foret,le Cap Caxine et Guyotville. A partir de cette localité, la route nationale laissait le bord de mer et filait vers Staouéli, la Bridja, Zéraldda. Huit kilomètres plus loin, après le pont sur le Mazafran, cette route se scindait.Un embranchement partait vers Douaouda-Ville, l'autre vers Douaouda-Marine, Fouka-Marine, Castiglione et vers Cherchel.

Arrivé chez moi, dés le lendemain j'enfourchais mon vélo et disparaissais de la maison, mes parents me le reprochant toujours. A cette époque j'étais un fan du vélo et lorsque le rationnement de l'essence arriva, nous formâmes un groupe d'internes empruntant le même parcours pour aller, les samedis et retour le lundi matin, en vélo chez nous. Partant de Ben-Aknoun nous passions par Dély-Brahim, Chéragas et on rejoignait la nationale à la Bridja

Ce parcours était relativement facile sauf les deux obstacles que constituaient les montées de Chéragas et de Douaouda .Bien souvent nous attendions le passage d'un camion pour nous y accrocher et vaincre ces difficultés sans effort. Tout se passait dans la bonne humeur et je me demande maintenant avec le recul comment nous n'ayons pas eu d'accidents : il est vrai que les camions marchaient au gazogène et dépassaient rarement les trente kilomètres- heure lorsqu'ils étaient chargés.

Emporté par mes souvenirs je m'aperçois que je me suis laissé entraîner loin de la vie quotidienne du Lycée. Les cours, dès huit heures avaient lieu en général dans notre salle d'étude et les différents professeurs se succédaient toutes les heures jusqu'à 16 heures avec une interruption de midi à 14 heures Nous changions de classe uniquement pour les cours de langues ; ceux de Physique Chimie avaient lieu dans un laboratoire. A l'avènement de l'Etat français, les cours n'eurent lieu que le matin, l'après-midi étant réservé aux exercices de plein air.Une autre conséquence fut la cérémonie du lever des couleurs le matin .Tous les élèves devaient y participer formant un carré autour d'un mat planté au milieu de l'esplanade devant l'entrée principale. Ces après-midi consacrés aux sports se passaient dans le Parc du lycée .Je me souviens d'avoir découvert avec trois copains l'ouverture d'un souterrain prés du bâtiment des cuisines. Poussés par la soif de l'aventure, nous gardâmes pour nous cette découverte et le jeudi suivant, nous décidâmes d'y consacrer notre après-midi libre. Munis de lampes électriques, nous descendîmes dans un étroit boyau parcouru par un mince filet d'eau dans le fond et après une marche tête baissée d'un quart d'heure environ, nous eûmes la surprise de déboucher hors des enceintes du Parc sur le bas coté de la route reliant Ben-Aknoun à Dély-Brahim. Notre découverte ne fut pas ébruitée et j'ignore ce qu'est devenu ce souterrain mais il constituait un excellent moyen d'éviter tout poste de garde

Peu de souvenirs du corps professoral à l'exception d'un prof d'allemand qui me consigna pour une leçon non apprise sur les déclinaisons .Il avait sans doute trouver le bon moyen d'enseigner car après quatre années d'études de la langue de Goethe je me souviens seulement des déclinaisons et des premières strophes d'un poème de Heine que je dus apprendre en supplément de punition. Les autres ont disparu de ma mémoire. Non pas tous, car je me souviens d'un nommé Alain prof de français, auteur de nouvelles. Son cours était intéressant, mais malheureusement très chahuté ; de Mr Joxe professeur éphémère d'Histoire car je crois qu'il rejoignit le gouvernement provisoire de la France à Alger et qu'il fit une carrière politique. Pour d'autres raisons, je ne peux oublier Mr Costa (parent éloigné de mon père, les Corses sont tous cousins !) Ce dernier eut la charge de surveiller ma scolarité à Ben-Aknoun et de signaler à mes parents toute incartade .Je ne pense pas lui avoir procuré beaucoup de soucis et il m'invita une fois seulement chez lui dans sa belle villa du balcon de Saint-Raphaël. Il avait l'allure d'un homme d'affaires plutôt que celle d'un professeur .Il venait souvent au lycée en vélo et portait des pantalons golfs ces jours -là qui contrastaient avec les tenues des autres professeurs

Parmi les surveillants, nous avions nos bêtes noires, un nommé Borel et un musulman surnommé fromage rouge car il portait une chéchia de cette couleur .Lorsqu'ils étaient de service tout le monde se tenait tranquille. Par contre notre surveillant principal était un brave homme surnommé la mouche et ses relations avec les élèves étaient bonnes

Une discipline sévère ne faisait pas notre malheur. Nos espaces de récréation étaient bruyants et joyeux .Les gros ballons étaient interdits mais tous les jeux avec pelote de tennis autorisés. Les matches de foot interclasses se pratiquaient sur une surface délimitée par nos blouses grises ou noires jetées à terre avec un public de supporters. Peu de bagarres, ce n'était pas encore à la mode !! Les rivalités existaient pourtant surtout entre les partisans des équipes oranaises et algéroises de foot !! Les rencontres G S A-A S M O ou CDJ-RUA déchaînaient les passions parmi nous. Le Lycée avait des équipes " cadets " dans presque toutes les disciplines sportives qui participaient aux championnats scolaires de l'Algérie. (O Je faisais partie de l'équipe de foot, si chère à Mr Troussier le prof principal de Gym, car elle collectionnait les succès Leader du Championnat, nous venions de remporter la Coupe un jeudi au stade Municipal d'Alger devant le Collège de N.D. d'Afrique notre éternel rival A cette occasion tous les internes avaient eu le droit de sortir pour assister au match. Coiffés d'un canotier à la mode, ils avaient créée une animation inhabituelle rue Michelet et rue d'Isly les deux grandes rues de la Capitale .L'administration, elle-même nous accordait certains privilèges, en particulier de suivre les entraînements de nos équipes civiles l'après-midi à la place du plein air obligatoire.

Aujourd'hui, je me rappelle de cette période insouciante où les adultes nous laissaient assumer notre destin et je suis triste de voir combien nous étions différents de l'image actuelle de la Jeunesse. Chaque réunion de l'Amicale des Anciens de Ben-Aknoun me laisse songeur car je me retrouve seul de ma génération. Que sont devenus mes anciens condisciples ?? Pas tous disparus !!Ou que vous soyez, en France ou en Algérie, si vous lisez ces lignes, faites moi signe car je ne veux pas que mon témoignage soit le seul a évoqué des temps heureux de l'Algérie française.

POLI Eugène
1898 Chemin des Près
13630 Eyragues
poli.eugene@wanadoo.fr
(pout le téléphone , contacter le site)